Le Mouton noir de Rimouski (mai-juin 2013) titre: «Le Québec sur la voie de la souveraineté alimentaire». Ce printemps, qui se rappelle encore de la Commission Pronovost sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois? Le ministre libéral Laurent Lessard s’était engagé en 2009 à donner suite au Rapport dans le cadre d’une politique. L’honneur reviendra au ministre péquiste de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’alimentation, François Gendron. Les objectifs sont indéniablement nobles: produits d’ici, variés, à juste prix, bons pour la santé, produits et préparés de manière en accord avec le développement durable et l’occupation dynamique du territoire.
Même si l’énoncé de Politique enveloppe une bonne part des 49 recommandations claires et précises dans un flou déconcertant, les nombreux opposants au régime Marois n’ont que bien peu de prise à une critique rentable au plan électoral. La prudence impose de ne pas irriter le puissant lobby de l’agrobusiness qui rôde autour des politiciens. D’après la porte parole du MAPAQ, l’industrie bioalimentaire soutient 10% des emplois au Québec et 7% du produit intérieur brut. Il y a fort à parier que ce sont les profits envisagés qui dicteront ce que les Québécois, jeunes et vieux, mangeront cette année et les autres après. Plusieurs scientifiques ont commencé à exprimer un doute à l’effet que l’espérance de vie de nos petits-enfants soit meilleure que la nôtre… Philosophes et éthiciens invoquent le principe de précaution. Nos abeilles continuent de mourir. Rien n’arrête le pouvoir de l’argent !
En matière d’alimentation, notre autonomie se limite à la portion de notre budget dépensée à l’épicerie. Une boutade à peine exagérée si l’on considère le peu de pouvoir qu’il nous reste sur le mode de production des denrées disponibles et, surtout, l’absence des informations qui nous permettraient de faire nos emplettes avec une connaissance suffisante de ce qu’on nous fait avaler. Qui d’entre nous accepterait sciemment de consommer des animaux traités aux hormones et aux antibiotiques, des céréales transgéniques, des légumes irradiés, des fruits enduits de cire à la morpholine ? La souveraineté du consommateur paraît s’être perdue en cours de civilisation. La souveraineté des paysans d’Amérique, d’Afrique, de partout…
L’agronome Jean-Pierre Berland a dirigé l’ouvrage scientifique La guerre au vivant: OGM et autres mystifications scientifiques, paru en 2001. Il conteste le discours: «Les biotechniciens et les entreprises qui mettent au point ces chimères génétiques prétendent qu’une fraise qui contient des gènes étrangers serait substantiellement équivalente du point de vue du Codex (alimentarius) et des règles internationales et, par conséquent, qu’elle n’exige pas d’étiquetage particulier. (…) Pour toute personne sensée, une fraise qui contient un gène de poisson des mers froides (le carrelet) la rendant résistante au gel, un gène bactérien lui conférant une résistance aux antibiotiques et un gène viral jouant le rôle d’un interrupteur des gènes introduits est fondamentalement différente d’une fraise ordinaire».
Je me souviens du parfum sucré des fraises des champs, minuscules baies rondes d’un rouge foncé, cueillies chaudes sur les coteaux de sables de la terre familiale où je suivais grand-maman Amanda. Devenue « grande mère » à mon tour, j’eus le bonheur de faire découvrir à Kim, à Kariann, à Charles et à Maude, encore tout près de la maison ancestrale dans la Vallée de la Matapédia: la grosse fraise des bois rouge clair, triangulaire et acidulée, à découvrir à la fin de juin en écartant l’herbe haute. À genoux, comme jadis Amanda en prière, sur l’humus noir et frais, je m’applique à sarcler les plants de fraisiers que mon fiancé a plantés. J’achèterai des fraises d’ailleurs quand le Québec sera assez souverain pour légiférer en matière d’étiquetage ! La chasse gardée de la constitution fédérale n’est pas le seul obstacle…
Liette Perreault