Le médecin Henry Morgentaler est mort le 29 mai 2013 à l’âge de 90 ans. Il est né à Lodz, en Pologne, le 19 mars 1923. Dès la jeune vingtaine, il fut déporté dans un camp d’extermination nazi avec sa famille. Ses parents et sa sœur y trouveront la mort. À la fin de la Seconde guerre mondiale, il s’est inscrit en médecine en Allemagne grâce à une bourse des Nations-Unies. Immigré au Canada, il a poursuivi ses études médicales à l’Université de Montréal et complété sa résidence à l’Hôpital Royal Victoria. Il raconte qu’à l’époque les hôpitaux montréalais accueillaient les femmes dont la condition était précaire après un avortement clandestin et que, malgré les meilleurs soins possibles, plusieurs de ces patientes mourraient.
L’immigrant ayant lui-même souffert de la discrimination a vite reconnu la cruauté des gens de bonne famille à l’égard des jeunes filles aux prises avec une grossesse non désirée, par surcroît jugée honteuse. Il a pratiqué la médecine familiale en mettant l’accent sur la promotion de la planification des naissances et de la contraception. Ce faisant, il continue d’être témoin de cas de mort par hémorragie et septicémie à la suite de manœuvres abortives clandestines. Il constate que les femmes pauvres sont particulièrement vulnérables, puisque les familles riches peuvent se payer les consultations médicales de même qu’une convalescence en milieu hospitalier, bien à l’abri des poursuites criminelles. Ainsi commença, en octobre 1967, la croisade publique du Dr Morgentaler devant un comité de la Chambre des communes, en faveur de la décriminalisation de l’arrêt de grossesse.
Le médecin controversé attendra en 1968 avant de se résigner à enfreindre la loi. Loi qu’il dénonçait au nom d’une justice sociale à ancrer dans un humanisme institutionnel. La fille d’un de ses amis fut sa première patiente… Refusant catégoriquement la clandestinité, Morgentaler abandonna définitivement sa clinique familiale pour se consacrer à sa cause: sauver des vies de femmes bien sûr, mais surtout éveiller les consciences à l’effet de respecter le choix des femmes sur la décision d’enfanter ou pas. Dans la société québécoise qui réalisait en même temps sa révolution sexuelle et sa visibilité culturelle, Morgentaler est devenu d’emblée une figure de proue de la libération des femmes face à l’autorité du clergé.
Une véritable saga judiciaire s’est déclenchée: cité à comparaître en 1973, Morgentaler avoue être l’auteur de 5000 avortements, mais le jury québécois refuse de le déclarer coupable. Décision renversée en appel et séjour en milieu carcéral à Cowansville. Je l’ai reçu à la petite unité coronarienne du Centre hospitalier de Granby lorsqu’il y fut admis. Il était seul patient et moi seule infirmière en service pour cette fin de semaine mémorable qui a suivi l’épisode de soins critiques. Sous l’influence de Françoise Dolto, j’avais composé à l’intention de mes petits un conte qui abordait des problématiques adultes et les adaptait à l’imaginaire de l’enfance, dont l’avortement. Il a lu, a souri, a commenté en bas de page, a signé…
Le débat s’est polarisé, entretenu par les tenants du mouvement Pro-vie alléguant que l’interruption de grossesse demeure un meurtre et que les auteurs méritent un châtiment à la hauteur du crime commis. En contrepartie, le mouvement féministe défend le principe de l’autonomie des femmes sur leur propre corps. Le Code criminel, de juridiction canadienne, a tranché en obligeant les Canadiennes à se soumettre à l’audition d’un comité thérapeutique. Une exigence que les magistrats ont jugée inconstitutionnelle dès l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. Une emprise d’une fragilité incomparable pour le Québec!
Et ce droit à l’enfantement libre et éclairé dans un contexte minimalement sécuritaire que défendait Morgentaler ? Un conte attend son dénouement final dans ma table de chevet…
Liette Perreault