Le 23 janvier 2012, le Sénat français promulguait une loi reconnaissant le génocide arménien (1915-1916). On sait que la « contestation de crimes contre l’humanité », lorsque constituée en « vérité d’État » est passible d’une peine d’emprisonnement. « Or, les lois dites mémorielles s’accumulent. » (Mario Roy, La Presse, mercredi 25 janvier 2012 p.A26). Le lendemain, le gouvernement canadien déclinait l’invitation des représentants des Premières Nations à modifier la Loi sur les Indiens datant de 1876. Le premier ministre aurait, selon Paul-Émile Ottawa, représentant du Conseil des Atikamekws, « manqué une occasion de prononcer un discours historique ». (Martin Croteau, La Presse, mercredi 25 janvier 212 p.A8). Dans les deux cas, l’analyse rationnelle des faits revient principalement aux historiens plutôt qu’aux politiciens; face à quoi les citoyens devraient conserver une certaine liberté de pensée plutôt que de se soumettre obligatoirement à un dictat. Ceci dit, nous voilà placés devant deux attitudes diamétralement opposées, mais qui nous offrent par comparaison une belle occasion de réfléchir à l’accomplissement d’un devoir de mémoire.
Admettons que l’affirmation de l’identité nationale, avant même de préparer le futur collectif, passe par la nécessité d’assumer le passé. En conséquence, le Québec en voie de devenir un pays pourrait difficilement faire l’économie d’un regard réaliste sur le traitement des autochtones durant le régime français. Or, la politique française d’assujettissement est authentifiée notamment par la correspondance du Père Lejeune (1636), de mère Marie de l’Incarnation (1668), du ministre Colbert à l’intendant Talon(1668), de l’intendant Antoine-Denis Raudot (1710) et du gouverneur Frontenac (1773) [1].
Face à l’évidence, il y aurait lieu d’adopter une attitude, non pas de culpabilité, mais de responsabilité. En quoi la fierté nationale qui habite les Québécois les empêcherait-elle d’agir avec l’humilité de ceux qui se sentent assez solides pour admettre leurs torts? Agir avec indulgence, souhaitons-le, puisque le colonialisme fut jadis considéré comme une mission salvatrice de « civilisation » par les autorités du temps. Mais aussi avec lucidité, puisque les documents d’archives attestent de la mise en œuvre de programmes successifs d’assimilation des populations indigènes. Et surtout, agir avec une intelligence sensible aux enjeux tant économiques que constitutionnels, considérant l’imminence du développement minier dans le Nord québécois.
Comment pourrions-nous, en tant que peuple en quête de reconnaissance de sa souveraineté, nous associer avec, par exemple, les peuples Cris et Inuits dans le développement harmonieux du territoire nordique? Car nous aurions tout intérêt à nous allier avec qui nous partageons à la fois la nordicité et l’américanité de même qu’une capacité inouïe de résistance à la déculturation sur un continent où nous constituons une infime minorité! Même avec la prudence qui s’impose quant à l’approche cartésienne du concept de nation [2], force est de constater la méconnaissance de nos ancêtres respectifs relativement à la diversité des processus civilisateurs. En outre, pour faire en sorte d’éviter le piège à l’occidentale d’un abus de pouvoir gouvernemental, n’hésitons pas à consulter ceux de nos anthropologues s’intéressant à la culture amérindienne. Serge Bouchard, entre autres, pourrait nous aider à apprécier le rôle de ceux qu’on appelait les Sauvages dans « la genèse de l’Amérique française ». (Daniel Lemay, La Presse, samedi 11 février 2012 p.18).
Liette Perreault