À la table d’honneur, le gouvernement annonce le dépôt imminent d’un projet de loi pour encadrer l’aide médicale à fournir à certains patients qui voudraient mettre fin à leurs souffrances. La ministre Véronique Hivon, déléguée aux Services sociaux et à la Protection de la jeunesse, affirme être maintenant en mesure de «préciser la mise en œuvre des conclusions de l’étude Mourir dans la dignité».
Le processus démocratique arrive à son dénouement après avoir été déclenché par un rapport du Collège des médecins du Québec. Véronique Hivon, alors députée péquiste, avait obtenu de l’Assemblée nationale, en décembre 2009, la création d’une Commission consultative sur l’amélioration des services en fin de vie. L’exercice a conduit à la rédaction de mémoires dont les trois quarts venaient du public. Au printemps 2012, la Commission était parvenue à la formulation de 24 recommandations.
Un comité de juristes fut chargé d’étudier la mise en œuvre de ces recommandations. Le rapport Ménard a été rendu public le 15 janvier 2013. Le président, Me Jean-Pierre Ménard, a spécifié en conférence de presse que des balises bien précises seront énoncées pour enchâsser correctement le droit d’abréger les souffrances de patients dits «non vulnérables»; ceci dans le but d’exclure toute demande d’aide au suicide par des gens atteints de maladie mentale. L’expert en droit de la santé ajoute que le patient devra «être en fin de vie, atteint de maladie incurable, dans une situation de dégénérescence avancée, avec des souffrances physiques et psychologiques constantes, insupportables» que la médecine ne peut soulager.
La question de la souffrance en fin de vie demeure complexe. Jonathan Guilbault, séminariste pour l’archidiocèse de Montréal, l’exprime dans une lettre ouverte au journal La Presse. Pour lui, les balises encadrant le recours à l’aide médicale à mourir ne peuvent empêcher tout à fait qu’un patient demande la mort pour éviter secrètement à ses proches le boulet de son agonie. Oui, le mourant y gagnera de l’autonomie et cette responsabilité inhérente à toute autonomie! Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades, se montre confiant: «Partout où ce droit existe en Europe, l’explosion de décès (une crainte répandue) ne s’est jamais matérialisée».
La profession médicale attend toujours cette loi qui, selon Dr Barrette président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, viendra clarifier un champ de pratique où «bien des choses se font clandestinement». Certains médecins affichent néanmoins une réticence. Dont le Dr Marc Beauchamp qui avoue sa crainte à l’effet que le médecin soit soumis à quelque idéologie. En outre, le chirurgien orthopédiste déplore que le Québec agisse de façon unilatérale face au gouvernement fédéral, lequel a complète autorité sur le droit criminel. Au bureau du ministre fédéral de la Justice, Julie Di Mambro se défile: «C’est aux tribunaux de déterminer si la province agit à l’intérieur de sa juridiction».
Me Ménard lui-même admet que «l’ouverture est petite, très petite…». Nous sommes conscients d’être à l’étroit dans la confédération lorsque vient le temps d’affirmer notre différence culturelle. Nous nous souvenons bien que le projet de loi privé sur la décriminalisation du suicide assisté, déposé à la Chambre des communes par la députée bloquiste Francine Lalonde en 2010, avait provoqué un débat houleux avant d’être battu à 228 voix contre 59. Notre réflexion collective actuelle ne s’est pas réalisée dans la perspective du «suicide assisté». Mais de celle d’une souveraineté accrue sur nos vies et, dans la logique d’un continuum de soins et d’accompagnement professionnel, de notre droit d’être, ultimement!
Liette Perreault