Les décorations de la Saint-Valentin nous invitent à perpétuer le modèle de l’amour courtois. Or, les historiens nous rappellent que l’amour romantique n’existait pas avant le Moyen-Âge. L’idéalisation du couple s’avère une pure invention du processus civilisateur. L’amour demeure néanmoins le principal moteur de la vie. La littérature et tous les arts en témoignent. La biologie également, puisque la pérennité de l’espèce humaine repose essentiellement sur l’attraction mutuelle entre filles et garçons. Certes la loi, même naturelle, ne réussit jamais à prévoir tous les moyens de s’y soustraire; l’homosexualité et la contraception ont d’autres raisons d’être que la procréation.
La nature avait cependant prévu un mécanisme efficace contre l’extinction de la race en créant dans le cerveau le mécanisme du plaisir. Les pratiques sexuelles plaisantes seraient parmi les ancêtres de toutes les drogues; une invention géniale quand on pense que l’orgasme lui-même ne cause pas de tort à l’organisme. Par ailleurs, là où il y a du plaisir, il y aura de la compétition: parfois exprimée sous forme de force brute, le plus souvent par de subtils manèges de séduction. À ce jeu de séduire, tous les individus à la recherche d’un partenaire n’offrent pas un égal attrait. L’attirance des contraires apparaît également telle une stratégie biologique développée au cours de l’évolution de l’espèce. La répulsion à s’accoupler avec qui nous ressemblerait trop préviendrait l’inceste et les alliances consanguines. Ainsi, serions-nous inconsciemment sélectifs.
D’où le penchant quasi généralisé à faire de l’effet ou du moins à paraître à son avantage. À la table d’honneur, Pauline s’embellit, rajeunit même. Jean-François Lisée exhibe à souhait son talent verbomoteur. Il appert que même chez les gens en position de pouvoir, personne n’échappe au besoin d’être accepté, élu, réélu. Les artifices sur le marché de la séduction/élection pourront varier à l’infini. Par contre la confiance, quand elle ne grandit pas, se meurt. Les idoles perdent leur charisme. Les disciples se dispersent. Nous devons à Goethe d’appeler «les affinités électives» cette mouvance de nos affiliations et de nos désaffiliations. Incessamment des liens se desserrent et d’autres se tissent au hasard des rencontres, au rythme des transformations personnelles ou simplement sous l’influence des tendances de la mode; un ensemble complexe de circonstances qui n’étaient absolument pas prévisibles lors d’un choix précédent.
Pourtant, nombre d’amants déçus de notre époque cherchent encore désespérément, de rupture en rupture, l’âme sœur qui leur aurait été prédestinée. Si nous admettions plutôt, avec notre chantre Gilles Vigneault «qu’il est difficile d’aimer»! Vivre avec l’être aimé, c’est exposer sa vulnérabilité; c’est la confiance à l’état nu; c’est le pari que ni l’un ni l’autre ne profitera d’une connaissance intime soit pour contrôler son partenaire ou pour se donner de l’importance. L’adjectif «mon petit» précédant le surnom affectueux désigne celle ou celui que je voudrais protéger de toute douleur. Toutefois, rien ni personne n’empêchera quiconque abaisse courageusement ses défenses de se sentir écorché vif à l’occasion; même si personne n’a délibérément cherché à faire du mal. Le pardon prend alors sa pleine signification car, nous le rappelle le poète Christian Bobin: «La souffrance de notre amour est encore notre amour».
Bref, «l’amour est imparfait» comme le chante Ariane Moffat. Alors, ne serait-il pas perfectible? Et le temps presse d’y travailler si l’on se fie aux prédictions du sociologue Jacques Attali. Il est en effet plausible que la technologie permette tôt ou tard l’incubation du fœtus dans un utérus artificiel. Et si l’évolution de l’espèce suivait la montée du narcissisme qui se calcule maintenant au nombre des amis inscrits d’un seul clic «j’aime»?… Il se pourrait que l’être humain du futur devienne hermaphrodite, c’est-à-dire capable de se reproduire seul, réduit à s’aimer lui-même… Je voudrais mourir avant!
Liette Perreault