Le premier décembre 2012, le quotidien La Presse rapportait les propos de Carla Bruni en entrevue avec Vogue Paris: «On n’a pas besoin d’être féministe dans ma génération!». Le 31, une grande voix féministe du Québec, Jovette Marchessault, se taisait à jamais. Le 28 janvier 2013, l’Ontario saluait la victoire de kathleen Wynnne, sixième femme dirigeant une province ou un territoire au Canada. Aux États-Unis, la popularité d’Hilary Clinton ex-secrétaire d’État laisse présager sa participation à la prochaine course à la présidence. Silence ! Action !
Nous ne pouvons présumer de l’avenir du féminisme autrement que par incursion dans le temps et en examinant les traces laissées par son impressionnante trajectoire. Au-delà du mythe créationniste, l’histoire de la terre parle en faveur d’un commencement du féminin antérieur à l’avènement du genre humain. La biologique grand-mère de toutes les femmes apparaît comme une mutation au sein du règne animal. L’apparition de cette aïeule originelle signerait une rupture d’avec un temps plus ancien. Une discontinuité plus sérieuse qu’une simple cassure, survenue comme une spécialisation, voire une complexification. Depuis ce bouleversement de l’ordre naturel, la vitalité des femmes inquiète, surtout quand se tissent entre elles des liens de solidarité. Le féminin incarne à l’infinie le risque du changement.
Le mouvement des femmes a permis aux Occidentales de contrer la réclusion des épouses dans l’espace privé, de s’attaquer au contrôle institutionnalisé de leurs existences. Une dure et longue bataille qui aura laissé des stigmates indélébiles dans l’imaginaire humain. L’archétype de la femme mortifiée s’enracine dans l’Antiquité. Le Théâtre du Nouveau Monde nous a présenté Des femmes de Sophocle; ces trois héroïnes Dejanire, Électre et Antigone qui, par leur insoumission aux mœurs de leur temps, vont au devant de leur destin tragique. Autre figure mythique, Jeanne d’Arc savait qu’en écoutant ses voix, elle s’exposait au bûcher. Enfin, combien de nos mères, sacrifiées à la naissance d’un petit catholique, sont mortes en couches. Une mort socialement provoquée de femmes qui étaient perçues comme prédestinées à une fin dramatique…et glorifiées. La contraception rendra possible, dans les années soixante seulement, l’insubordination des filles. Il était temps, car les fées avaient soif!
Le chantier est loin d’être achevé, notamment au plan des préjugés résistants et de leur impact sur le quotidien des Québécoises, les premières affectées par la précarité du travail et des revenus. La Fédération des Femmes du Québec s’intéresse à la question de la retraite. L’association a démontré, chiffre à l’appui, que le parcours particulier des travailleuses ne trouvera justice que par l’amélioration des régimes publics. La requête s’adresse à madame Agnès Maltais qui, à la table d’honneur, répondra à titre de ministre de la Condition féminine. Pour la FFQ les espoirs sont permis étant donné que madame Maltais, également ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, dispose de solides leviers. La ministre croit, de plus, en la nécessité de demeurer vigilantes en matière d’égalité hommes-femmes. Aussi, elle maintient le Conseil du statut de la femme: «Le Conseil est là pour rester, et pour rester autonome».
La force des femmes est toujours là agissante au cœur des cultures, parfois voilée, rarement fracassante, mais combien pénétrante. D’autant plus dérangeante qu’elle dédaigne les canaux politiques et juridiques officiels, à la manière des quatre Amérindiennes qui ont lancé le mouvement «Idle No More». D’autant plus offensante qu’elle accuse le flegme harperien, telle la grève de la faim de Theresa Spence. D’autant plus humiliante qu’elle dénonce l’indifférence de l’ordre public face aux meurtres en série de femmes autochtones. Notre civilisation en perd la face! Le mal des femmes nous réveille comme un cri venant des entrailles de la terre: Quand? Pour quand la paix? À quand la franchise? Et à quand la dignité?
Liette Perreault