La Commission d’enquête sur l’octroi de contrats publics dans l’industrie de la construction bat son plein. Le 27 février 2013, la juge France Charbonneau a perdu patience lors du témoignage de l’ancien chef de travaux publics de Montréal Robert Marcil qui niait toute responsabilité de sa part dans l’attribution douteuse des contrats: « Êtes-vous en train de nous dire que vous étiez stupide et incompétent?». La question est incisive. Instructive aussi, en regard de la part de responsabilité de chacun qui aura permis graduellement l’instauration d’une culture du détournement des fonds publics vers des intérêts privés.
Or, la télédiffusion quotidienne des audiences de la Commission Charbonneau commence à perdre des auditeurs. Comme si, face à un réseau si solidement intriqué de malversations, le sentiment d’impuissance gagnait les téléspectateurs. Comme si, n’en pouvant plus de désenchantement, on se disait que la corruption était trop bien ancrée dans les mœurs qu’il n’y aurait jamais moyen de s’en défaire. En effet, comment pourrions-nous empêcher à jamais l’émergence de la mauvaise conscience chez les professionnels en poste de commande dans les services publics? Comment surveiller des ingénieurs chevronnés? Comment contredire un médecin de réputation internationale?
Au Québec pas plus qu’ailleurs nous ne pourrons changer le passé; le présent comporte sa part de désillusions, mais l’avenir nous appartient. Comme peuple, nous valons mieux que cela qui nous fait honte devant la communauté internationale. Pour ce droit d’exister souverainement qui nous tient à cœur, nous devons absolument corriger la trajectoire déviante. À la table d’honneur le discours est plutôt confiant. Jean-François Lisée confiait récemment à Vincent Marissal: «On veut que le Québec devienne le lieu le moins hospitalier pour les crapules. On a l’impression que depuis le 4 septembre, il n’y a plus aucun frein aux enquêtes des différentes escouades. Elles peuvent aller partout frapper à toutes les portes, ce qui n’était pas le cas sous les libéraux…». Une allusion discrète à l’Opération Diligence? Au-delà des paroles, il y a eu l’adoption de lois sur l’intégrité dans l’attribution des contrats publics de même que sur le financement des partis politiques.
Ce que nous entendons par «probité» n’est garanti pour autant. Le technocrate est doté d’un pouvoir (crate) lequel découle d’un savoir (technè). Évoluant dans une structure publique, ces technocrates en viennent à prendre en considération ce qu’ils prennent comme des pratiques inévitables, cela aux dépens des contribuables. Il faudra nous habituer à des mesures plus contraignantes sans prendre pour acquis que le problème puisse un jour être solutionné définitivement. Traquer les fraudeurs, débusquer les lieux où parvient à se camoufler la tentation, comprendre comment la tricherie en arrive à se transmettre comme un savoir et, possiblement à plus long terme, à la manière d’une tradition. Devenir capable de transcender l’objectif de la punition réservée à ceux dont la culpabilité aura pu être prouvée hors de tout doute. Comprendre les liens subtils entre la collusion de profiteurs (jugée mauvaise), et la (réputée bonne) réussite sociale. Bref, tout un chantier!
Convenons finalement avec le philosophe Vico que les problèmes ne peuvent être résolus de façon isolée; qu’ils appartiennent précisément à l’espace/temps d’une civilisation. À cet égard nous sommes tous à demi innocents et à demi coupables…
Liette Perreault