La série télévisée « Unité 9» a obtenu d’emblée la faveur des Québécois. Il ne s’agit pas d’un engouement passager, l’intérêt perdure. L’auteure Danielle Trottier accordait récemment une entrevue à RDI pour témoigner d’un événement inusité: une invitation des détenues de l’Établissement Tanguay transmise par leur aumônier. Sept comédiennes leur ont rendu visite dans le plus grand secret. Une rencontre très émouvante de 140 femmes tenant à dire que la diffusion du téléroman leur faisait du bien en leur donnant une visibilité. Madame Trottier a renchéri en affirmant que les personnages mis en scène par Jean-Philippe Duval leur avait apporté une « reconnaissance d’exister ».
Dans le mot « reconnaître », il y a « connaître » associé à l’idée de compétence. Appliqué à une personne, « connaître » introduit la notion de relation ; se connaître soi-même ajoute celle d’évaluation. L’expérience de « reconnaître » et par extension « d’être reconnu » se présente comme un phénomène plus complexe. Dans l’Antiquité, Platon a traité de la re-connaissance au sens de la réminiscence. Notons que la philosophie grecque introduisait déjà la dimension de temporalité, une temporalité toutefois limitée au passé. Il a fallu attendre Hegel pour que le concept de reconnaissance s’enrichisse de l’aspect dynamique et social de renversement des forces de soumission et de domination. Le système philosophique hégélien n’est pas à la portée de tous; madame Andrée Ferretti pourrait éventuellement nous aider à saisir ce qui serait applicable à la situation de subordination du Québec dans la Confédération.
Nous pouvons néanmoins comprendre, pour avoir été témoins des avancées graduelles du mouvement féministe, que la reconnaissance s’obtient au terme d’un processus long, collectif, combatif. En effet, le temps requis pour être reconnu n’a rien de passif; c’est un travail ardu de patience, de vigilance et de constance. Si le temps d’une vie d’artiste ne suffit pas toujours à la reconnaissance de l’œuvre, il faut s’attendre à ce que le temps nécessaire à la reconnaissance sociale d’une catégorie de personnes s’étende sur plusieurs générations. Il nous faut malheureusement admettre que, même sur le continent américain, la discrimination interraciale n’est pas totalement abolie; l’égalité des femmes avec les hommes n’est pas complètement accomplie. Dans ce contexte, il demeure difficile d’imaginer un paradis terrestre où la reconnaissance d’exister sera chose faite pour tous les peuples? Pourquoi?
Le philosophe Michel Seymour a publié deux ouvrages traitant de la reconnaissance. Il nous démontre la fragilité des nations inhérente aux règles d’administration démocratiques. Particulièrement au Canada, où les droits collectifs ne sont pas enchâssés dans la constitution. Il appert que la Charte des droits et libertés défend fort bien les individus contre une dictature de la majorité, ce, sans égard pour les droits collectifs supposément couverts en tant que cumul des droits individuels. Or, il s’agit là d’une représentation du bien commun arbitrairement tronquée, car ne reposant sur aucun fondement philosophique. Le bien collectif, étant un but auquel concourent librement les citoyens, n’est pas individualisable puisqu’il correspond à une convergence des valeurs. L’auteur affirme, en outre, que «l’histoire publique commune n’est pas nécessairement le reflet d’une identité narrative communément partagée. […] elle est le patrimoine des institutions publiques qui traversent le temps».
Dans cette perspective, je soutiens qu’il demeure légitime d’exiger des immigrants, anciens et nouveaux, le respect dû au patrimoine national du peuple qui les accueille. De même, je crois qu’il est tout à fait sain, voire moral, d’initier tous les jeunes du Québec à l’histoire de notre patrimoine institutionnel, de les intéresser à sa bonification, de telle sorte qu’il continuera à traverser le temps, tout en s’ajustant à la mouvance du monde.
Liette Perreault